Un soir de réveillon à Bruxelles. Trois hommes se retrouvent dans un restaurant pour ce 24 décembre en solo : le patron, un Professeur et un taximan reconverti. D’eux, nous ne saurons que la fonction professionnelle : la « société anonyme » du roman. Plutôt que de rester chacun dans son coin à consumer sa morosité, un élan naturel les fait se rejoindre autour du même repas, raffiné, élégant et gargantuesque, copieusement arrosé des meilleurs vins.

La rencontre est improbable et l’alchimie à venir encore plus. Pourtant, les langues se délient au-fur-et-à-mesure d’anecdotes personnelles ou professionnelles : le Professeur confie le drame originel de son enfance qui l’a privé de ses parents, son appétit insatiable des femmes et son envie de brûler la vie par les deux bouts dans un désordre continuel, synonyme de vie pour lui. Le taximan, quant à lui, évoque sa quête, ses doutes, son empathie à chaque trajet sollicitée. En retrait, auditeur attentif, le patron commente, prudent, pragmatique, les récits de ses convives.

On se pique au jeu de ses instantanés de vie. Fragments ? Pas tant que cela puisqu’un fil conducteur narratif se tend, de plus en plus ferme, de plat en plat, créant une cohérence d’ensemble aux propos des différents narrateurs. Peut-on émettre l’hypothèse que chacun joue le rôle dans un puzzle cohérent dont le lecteur découvrirait l’existence à la fin du récit ? Sans déflorer le dénouement, annonçons simplement que la construction de l’intrigue est fort bien troussée.


 Venu sur un tard à la littérature, Jean d’Espinoy avait en 2017 sorti très discrètement " Une journée sans histoires ". Ce roman qui faisait vivre tout un quartier de ville provinciale avait au final connu un succès sympathique.



Cette fois, avec "Société anonyme", plus question de peindre des dizaines et des dizaines de personnages. Non, ici, ils ne sont que trois, réunis par un faux hasard, dans un restaurant bruxellois, un soir de Noël.

Les confidences, les arrangements avec la vérité aussi, ne tardent pas à se mettre en place. Au fil des plats et des bouteilles, tout cela s’épice.

Il y a là le client habitué, brillant professeur de son état, un des plus fins connaisseurs au monde de l’Odyssée d’Homère, discoureur invétéré. Un homme à l’enfance brisée par la mort de ses parents et le baiser obligé à sa mère morte. En rupture de ban avec son frère. Impénitent coureur de jupons, rattrapé par un amour impossible et tragique, celui de la jeune épouse aussi surdouée qu’instable du doyen de sa faculté, son maître donc et son rival… 

L’autre client, de passage, est un taximan désœuvré, du moins on le croit. Mais il n’a pas toujours été taximan. Il était prêtre dans une vie précédente, puis la Foi s’est éteinte en lui. L’homme sait écouter. Une capacité qu’il avait déjà développée au temps du sacerdoce et qui s’est renforcée au fil des trajets de sa nouvelle existence professionnelle. Confesseur sorti du confessionnal.

Le restaurateur enfin. Plus transparent que les deux autres ? Pas vraiment. Homme usé par le mariage qui a trouvé l’énergie de rompre au lendemain d’une aventure homosexuelle, elle-même sans aucun lendemain.

La présence, parmi ses personnages, d’un docteur en philosophie et lettres et d’un homme rompu à la théologie, donne l’occasion à Jean d’Espinoy de semer les citations et de recourir volontiers à un vocabulaire haut de gamme. Le style adopté a parfois quelque chose de désuet, vieille France fantasmée. Surprenant, amusant bien plus qu’agaçant.

Ce qui est totalement réjouissant en revanche, ce sont les traits teintés d’humanité, pourtant vifs et sans réplique: "Une part de notre existence se passe dans le regard que les autres portent sur nous" Gare d’ailleurs à ces regards perspicaces… "Ils nous effacent de la scène où nous croyions jouer le premier rôle"

Certains aphorismes mériteraient de passer à la postérité tel: "Rien n’est plus irritant que de trouver dans la bouche d’autrui une vérité que l’on se cache à soi-même."

Géry Eykerman.












Trois hommes se retrouvent à passer par hasard le réveillon ensemble dans un bar restaurant de Bruxelles : le patron, un habitué professeur à la fac et un inconnu chauffeur de taxi qui va vite leur révéler être un ancien prêtre. Au fil des plats qui délimitent les différents chapitres, de l'entrée au dessert, ces trois hommes vont se confier persuadés qu'ils sont d'être entre inconnus. le professeur notamment revient sur son rapport aux femmes. Il a été profondément marqué par le décès de sa mère qu'il a dû aller embrasser à la morgue quand il était tout jeune. Depuis il multiplie les conquêtes et ne s'attache à personne. L'anonymat de cette « société » d'un soir délie les langues…sauf qu'en réalité le professeur est connu de l'un d'entre eux…je vous laisse découvrir duquel. Pour être transparente, l'auteur m'a gentiment proposé de lire son livre. J'ai toujours une hésitation dans ce cas-là. Et si le livre me tombait des mains ? Ça n'a pas du tout été le cas. J'ai beaucoup aimé ce huis-clos entre ces trois hommes. On se croirait au théâtre et je me suis même surprise à lire à voix haute. L'auteur écrit très bien, de manière très érudite parfois (j'ai découvert des mots inconnus) mais sans jamais que ça n'entrave la lecture. C'est un vrai plaisir de lire des dialogues ciselés comme ça.


 


Avec verve et talent d'écriture impressionnants, Jean d'Espinoy a concocté un réveillon de fin d'année peu ordinaire dans Société anonyme, son second roman salué par l'excellente Amélie Nothomb.

Il ne faut pas se laisser induire en erreur par le titre qui fait penser à une entreprise car, comme je l'ai dit plus haut, l'auteur m'a plongé dans la dernière nuit de l'année, ce fameux réveillon.
Un restaurateur bruxellois, en manque de monde, ne sait pas s'il doit se féliciter de n'avoir que deux clients ou regretter de n'avoir pas fermé son établissement ce soir-là.
Chacune des six parties propose une étape du menu gastronomique, vin compris, de la copieuse entrée jusqu'au café. Mais ne salivez pas tout de suite car le début de ce roman est glaçant. Celui qui est appelé le professeur parle de la mort de sa mère et de ce baiser qu'il a dû déposer, à l'âge sept ans, sur le front de la disparue, à la morgue.
Le jeune orphelin a été fortement traumatisé par ce moment terrible de l'adieu à la personne la plus chère à son coeur. Il est aujourd'hui âgé de plus de soixante-dix ans et ce choc subi dans l'enfance a fortement marqué ses rapports avec les femmes.
Privé de l'amour de sa mère, il s'est retrouvé avec un grand frère âgé de onze ans. Tous les deux, ils ne s'aimaient guère. La description qu'il fait de son aîné est sans concession. Il dit que celui-ci n'aimait que l'argent et n'était même pas heureux.
Devenu Docteur en lettres classiques, ce professeur se décrit comme un libertin et le prouve en contant ses souvenirs. L'autre client semblant bien taciturne à sa table, l'enseignant maintenant retraité l'invite à partager le festin avec l'accord du patron.
Débute alors un échange extraordinaire, un débat passionné entre les deux hommes : le professeur et le taximan, comme l'autre client se présente. En réalité, cet homme a un autre passé que je vous laisse découvrir pour ne rien divulgâcher.
Le professeur développe donc sa folle passion pour les femmes, n'hésitant pas à offrir des descriptions assez torrides alors que son interlocuteur tente d'élever le débat, de pousser plus loin la réflexion, même si c'est parfois un peu long.
Si le restaurateur se contente, au début, d'écouter les échanges agrémentés d'un vocabulaire très recherché, il réussit tout de même à s'exprimer.
Dehors, la neige blanchit la place du Grand Sablon et cela n'émeut guère nos débatteurs qui ne lâchent rien, chacun refusant de céder à l'autre. Si le professeur partage ses aventures féminines aussi excitantes que douloureuses, c'est le chauffeur de taxi qui se réserve pour l'énorme surprise finale.
Avant cela, Jean d'Espinoy, écrivain belge, m'a emmené au bout de ce festin délicieux largement arrosé avec du champagne en entrée jusqu'au Pacherenc au dessert… un nectar délicieux...
Au fil des pages, j'ai ressenti l'infinie douleur d'un gosse privé de l'amour d'une mère, réfugié dans cette chambre maternelle abandonnée où il a retrouvé parfums et vêtements de cette femme. La marque indélébile du baiser déjà évoqué l'a poursuivi jusqu'au bout. Elle a été aggravée par l'épreuve douloureuse de la pension loin de la chaleur familiale à jamais effacée.
Il faut maintenant s'attarder sur la rencontre du professeur avec un doyen de l'université et sa très jeune épouse. Ce fut une aventure déterminante autant que traumatique pour un homme qui affichait beaucoup de certitude et une forte confiance en lui vis-à-vis des femmes. Croisière en Méditerranée, longère en Côte d'Armor, grand appartement en ville, ces lieux furent le théâtre d'événements qui bouleversèrent la vie du professeur.
Avec beaucoup d'érudition, sans négliger religion et mythologie, Jean d'Espinoy m'a embarqué dans un débat passionnant et je l'en remercie car les rapports entre les femmes et les hommes, en train d'être rééquilibrés aujourd'hui, méritent d'être disséqués afin de pousser au plus loin une réflexion souvent dérangeante pour notre intimité.
L'heure est vraiment avancée quand les deux convives sortent du restaurant. Leur longue discussion n'a pu que leur être bénéfique comme elle l'a été pour moi et, je l'espère, le sera pour d'autres lecteurs de Société anonyme.

Société anonyme - extrait 

 

– Mon père n’était pas un méchant homme mais c’était un ivrogne. Souvent, il rentrait tard, aux petites heures, le gosier plein de vociférations ordurières, de chansons paillardes ou de soliloques d’alcoolique. Il réveillait tout le monde en hurlant, en claquant les portes. Chaque soir, c’était un rituel immuable. Nous nous attablions moi, ma mère, mes frères et sœurs à dix-neuf heures précises. C’est alors qu’une sourde appréhension montait en nous. Silencieux, le nez dans notre soupe, nous écoutions la pendule moudre des minutes brûlantes. Nous savions que passé dix-neuf heures trente, il ne rentrerait plus, que son couvert demeurerait intact, sa place vide. Notre mère faisait de son mieux pour ne pas nous montrer le chagrin qui la minait, elle s’efforçait d’afficher un visage impassible cependant trahi par des sanglots durement réprimés qui couvaient dans sa voix. Souvent, elle sortait dans le jardin se cacher pour pleurer. C’est ainsi que j’ai passé tant de nuits de mon enfance à veiller, à guetter les ombres, à surprendre les moindres bruits de la maison. J’attendais que tout le monde fût endormi et, à l’insu de ma mère, je quittais mon lit à pas de loup. Alors, je m’asseyais sur une marche de l’escalier, toujours la même. Mes yeux fixaient une croisée sans rideaux juste en face de moi. Tel un oiseau, appelé par le ciel, je déployais mes ailes, je prenais mon essor. L’hiver, je m’enveloppais dans une couverture, humble sentinelle aux yeux grand ouverts, je laissais mon regard se dissoudre dans la nuit d’encre noire; l’été, je m’évadais dans les étoiles, j’écoutais les chants de la pluie, la musique qu’elle faisait dans les gouttières, l’automne, c’étaient les gémissements des arbres tordus par la tempête. J’écoutais cela avec un regard animal, j’écoutais aussi le monde exister en moi. Évidemment, je finissais par m’endormir mais avec ce bonheur candide de veiller sur ma mère, sur mes frères, sur mes sœurs, sur le monde entier. Car je savais qu’en rentrant, mon père me trouverait, que les démons s’en iraient de lui, qu’il serait soudain dégrisé, attendri de me voir assis sur cette marche à l’attendre, qu’il me prendrait dans ses bras, qu’il me recoucherait doucement, qu’il ne claquerait pas les portes et ne tourmenterait pas ma mère. À l’aube, lorsque je me réveillais dans mon lit, je savais qu’il était rentré, je savais que tout était bien.

– Et vous avez attendu ainsi combien d’années ?

– J’attends toujours, je n’ai jamais quitté cette cage d’escalier, mes yeux ne se sont pas détachés de la fenêtre ouverte sur une nuit immuable mais prometteuse d’aube. C’est à présent l’existence que j’y contemple. Comment ne pas remercier mon père de m’avoir initié, sans le savoir, à cette veille ininterrompue depuis lors ? Le condamné à perpétuité et le curé que j’étais sont, à un certain niveau de conscience, deux êtres diamétralement opposés mais ils se rejoignent à un niveau supérieur dans une attente qui est la même, une attente telle un feu dévoreur de visible et d’invisible. Cette marche d’escalier enfouie au fond de ma mémoire fut la prime expérience de mon être le plus profond. Plus que l’espérance, j’y ai trouvé la foi.

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2022 "Société anonyme"




"Il faut dire adieu à votre mère à présent, donnez-lui un baiser sur le front... C'était il y a bien des années, dans une morgue à Rouen. Les vacances d'été s'achevaient; mon frère et moi les passions à Trouville, chez nos grands-parents. J'avais sept ans, mon frère onze. Un matin, deux agents de police sont venus, il fallut partir à la hâte dans la vieille Peugeot. Le visage de mon grand-père d'ordinaire si jovial s'était fermé et durci, ma grand-mère pleurnichait doucement dans un mouchoir. La route fut interminable. À notre arrivée, deux bonnes sœurs nous reçurent  - un accident de voiture; monsieur est mort sur le coup, madame n'a survécu que quelques heures... Nous étions orphelins. 

Lorsque j'explore mes plus intimes tréfonds, il ne me revient de ce moment que la voix chevrotante d'une vieille nonne m'enjoignant de poser les lèvres sur le front glacé de ma mère, et l'indicible répugnance avec laquelle j'avais obéi à cet ordre.

 
Ceci est l’histoire d’un baiser, d’un baiser tragique et contraint donné au fond d’une morgue. Un soir de réveillon trois hommes se trouvent fortuitement réunis autour d’une table de restaurant et se mettent à évoquer leurs souvenirs. Trois inconnus que rien a priori ne destinait à se rencontrer ni à partager l’intimité de leur mémoire. Mais est-ce vraiment le hasard qui les a rassemblés pour cette veillée de Noël ? Au fur et à mesure de leurs récits, ils découvriront avec stupeur que cette rencontre n’est en rien fortuite.


Lettre d'une lectrice (Amélie Nothomb)







2016 "Une journée sans histoires"


"On racontait beaucoup d'histoires sur le vieux Fernand; on disait tout de lui, tout et son contraire, tout et n'importe quoi." Dans une ville que l'on pourrait situer dans le Nord de la France ou quelque part en Belgique, la disparition étrange d'un vieil homme met tout un quartier en émoi. Meurtre, crime, enlèvement ou fugue ? L'enquête est menée par un agent de police improbable et, tour à tour, par chacun des protagonistes de cette intrigue truculente et pleine d'humour. Difficile de classer un tel roman tant il échappe aux catégories reçues. Son originalité, l'excellence de son style, sa langue audacieuse et riche nous rappellent le Balzac des Contes drolatiques, le Daudet des Lettres de mon moulin ou encore certaines pages d'Alphonse Allais. Avec Une journée sans histoires, Jean d'Espinoy signe un premier roman dont on peut augurer des productions à venir pleines de promesses.


Comme dit dans le résumé, si je dois retenir un mot de ce livre, ce serait "Original".
Une nouvelle plume signe ce livre, une plume douce et fluide qui se lit sans difficultés.
Une seule chose m'a un peu gênée, c'est le fait qu'il n'y a pas beaucoup de dialogues. Nous sommes habitué à ce que les personnages se parlent beaucoup plus. C'est vrai que cela m'a gêné, mais je trouve néanmoins que l'histoire est bien écrite et tout à fait originale.
J'espère que l'auteur ne s'arrêtera pas à un seul roman, car je serai ravie de le découvrir à nouveau dans un autre récit.
Un humour complètement surréaliste qui agit comme une bouffée d'oxygène et toujours dans les moments les moins attendus. Cela donne une jolie perspective à cette enquête menée par un policier autant original que l'histoire.
Un premier roman réussi, alors ma question sera : à quand le suivant ?

AlouquaLecture Babelio 26 février 2016


   Un peu par hasard, sur les conseils d'une amie, je me lance dans cette "Journée sans histoires" qui aurait pu encore être intitulée, "journée cent histoires"; de fait, à travers le regard un brin loufoque des habitants du quartier sur la disparition mystérieuse du vieux Fernand, ce sont plusieurs histoires qui nous sont contées... Une plume drôle et attachante porte ce petit récit sans prétention mais dont on sort un sourire malicieux aux lèvres, tout heureux d'avoir découvert cette petite perle ! La même sensation qu'après avoir dégusté une bière encore inconnue au bataillon, mais pleine d'arômes savoureux !                                                                                                                                                                        
Anonyme 16 novembre 2016

Une belle surprise
Un roman étonnant sous forme de "pseudo-polar" qui ravira les amoureux du beau style. C'est un livre plein d'humour, très habilement construit, le dernier chapitre est une pure merveille. Auteur à suivre. 
Lulu 61